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« Faire du bio pour rester des éleveurs laitiers »

Au lieu de produire plus de lait et d’installer un robot, Florence et Alain Bouyssou ont opté pour le bio.

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Dans l’Aveyron, Florence et Alain Bouyssou gèrent la dernière ferme laitière de Savignac, l’une des communes les plus laitières du département il y a quarante ans. Depuis le 6 mai dernier, ils ont entamé une conversion en bio, remisant leur projet initial. Alors que Florence a arrêté début 2015 son travail à l’extérieur, le couple avait pensé agrandir la stabulation de 15 logettes et augmenter la production de 150 000 litres. L’installation d’un robot « pour durer physiquement encore dix ans » avait également été envisagée.

Les évolutions en cours dans le monde du lait et l’organisation par Sodiaal d’une collecte de lait bio autour de son site de ­Montauban ont incité les éleveurs à se convertir en bio. Florence, convaincue, a dû toutefois persuader son mari de la pertinence de cette orientation. Bien que pratiquant une agriculture raisonnée, avec une réduction des intrants et des phytosanitaires, des implantations d’intercultures et de méteils, Alain n’était pas prêt.

« Nous n’étions pas armés pour continuer à produire du lait conventionnel »

Un temps, les agriculteurs ont aussi pensé à se diversifier avec un atelier de volailles (poulets). Mais se faire remplacer aurait été alors plus difficile. Or, la qualité de vie est une priorité pour Florence et Alain, parents de trois enfants. « Avoir une exploitation viable et vivable avec un outil efficace, qui permet de se libérer et de réduire les astreintes, est très important pour nous. Nous avons toujours eu un salarié à temps partiel (25 heures par mois). L’exploitation adhère également à un groupement d’employeurs pour quinze jours par an. »

Leur participation, en novembre 2015, aux journées nationales du BTPL (Bureau technique de la promotion laitière) a agi comme un révélateur. « Nous avons côtoyé là des producteurs évoluant dans des contextes climatiques et agronomiques beaucoup plus favorables que le nôtre, disposant de structures prêtes à produire demain 2 Ml. Nous avons compris que nous n’étions pas armés pour continuer à produire du lait conventionnel dans ce monde-là. Dans notre secteur, le maïs donne au mieux 9-10 t de MS/ha et les céréales 50 q/ha. »

Non sans appréhension, Florence et Alain ont décidé de quitter un système bien calé (520 000 litres vendus avec 65 vaches), pour s’orienter vers un système plus extensif avec moins de vaches et moins de lait (350 000 à 400 000 litres avec 55 à 57 vaches à 6 500 kg).

Cet automne, 25 ha de prairies, moitié graminées moitié légumineuses, et 19 ha de méteils protéagineux ont été implantés. Une partie des méteils sera moissonnée. L’objectif est de limiter au maximum les achats de protéines, très onéreux en bio (900 €/t pour les tourteaux), et de réduire l’apport de concentré de moitié (de 2 tonnes à 1 tonne par vache et par an). « Arriver à une moyenne d’étable de 7 000 kg serait bien », avance Alain. « À condition que cela ne coûte pas, souligne Florence. En bio, il faut raisonner économique dans les coûts de fonctionnement et dans les investissements. »

Le maïs qui, malgré son rendement limité, garde son intérêt pour apporter l’énergie dans la ration des vaches va être réduit de moitié (de 17 ha à 8 ha). Il sera incorporé à hauteur de 25 % dans la ration, contre 40 % actuellement. « Alors que nous avions l’habitude de semer tôt des indices tardifs, nous sèmerons plus tardivement des indices plus précoces, explique Alain. En bio, pour éviter le salissement des terres et permettre au maïs de démarrer vite, il faut des terres bien réchauffées. Le désherbage se fera à la bineuse et à la herse étrille, un matériel que l’on utilisait uniquement sur l’herbe. Il faudra apprendre à tolérer quelques mauvaises herbes, et le regard des autres. » La fertilisation sera assurée par les engrais de ferme (fumier pailleux des logettes et lisier). Pour mieux valoriser leurs effluents, Florence et Alain projettent d’agrandir la petite fumière couverte.

« Il faut apprendre à gérer un pâturage tournant efficace »

Un gros travail est en cours pour mieux valoriser l’herbe. « Alors que nos pâtures étaient vieillissantes et que les silos n’étaient jamais fermés, il faudra apprendre à gérer un pâturage tournant efficace, à diversifier la flore des prairies et à implanter les bonnes plantes au bon endroit. À partir du printemps, nous ferons du pâturage dynamique, en espérant avoir des conditions plus favorables que l’année passée. L’objectif est de faire tourner les laitières sur 14 paddocks de 1 ha. Les surfaces récoltéesen ensilage d’herbe vont augmenter. » Les silos en béton sont assez grands. Ils avaient été agrandis il y a deux ans en prévision du développement de l’atelier lait.

Florence et Alain auraient aimé anticiper davantage leur transition bio. « Mais il y avait une opportunité à saisir. Il fallait se décider avant que Sodiaal n’ait trouvé suffisamment d’approvisionnement pour son usine. Nous avons pris le risque de partir plus vite. »

Un contrat, d’une durée de cinq ans à partir du moment où le lait sera livré en bio, novembre 2017 en l’occurrence, a été signé avec Sodiaal. Pendant les deux ans de phase de conversion, les producteurs ont l’assurance d’être payés au-dessus du prix du lait conventionnel : la première année à hauteur de + 30 €/1 000 litres minimum ; l’année ­suivante, si le prix du conventionnel est inférieur à 300 €, l’aide à la reconversion pourra atteindre 50 €.

Une fois bio, le lait sera payé selon un prix objectif qui pourra varier en fonction de l’état du marché du lait bio et du tunnel France-Allemagne. À titre indicatif, le prix objectif 2016 est de 435 €/1 000 litres pour un lait à 38-32. Quoi qu’il arrive, un bonus de 60 €/1 000 litres sur le prix du lait conventionnel est assuré.

Les éleveurs devraient également émarger aux aides à la conversion : 300 €/ha pour 12 ha de cultures et 100 €/ha pour 79 ha de prairies, soit globalement 14 000 €. « Bien que l’on ne sache pas aujourd’hui exactement ce que l’on va toucher, on compte dessus, souligne Florence. Dans notre région classée zone défavorisée piémont, les soutiens publics compensent une partie de nos handicaps naturels. C’est le cas de l’ICHN (1) (16 000 € pour le Gaec à deux associés) que l’on voulait nous supprimer récemment en sortant de nombreuses communes du département de la nouvelle carte zone défavorisée. Un coup de massue, une honte ! »

Par prudence, les études économiques ont été faites hors aides à la conversion.

Trois options intégrant des niveaux de complémentation, de chargement et de litrages plus ou moins élevés ont été testées. Les résultats les plus satisfaisants sont atteints avec 400 000 litres produits, 160 g de concentré par litre et un chargement d’un UGB par hectare de SFP. Malgré un contexte climatique très difficile pour leur première année de transition bio, les éleveurs de Savignac se sentent prêts à tenter l’aventure. « L’expérience positive de producteurs qui ont franchi le pas il y a cinq ans et ne reviendraient pas en arrière nous y encourage. Les réunions d’éleveurs bio auxquelles nous participons se déroulent dans une ambiance sereine et apaisée. C’est encourageant. »

« Nous attendons de notre coopérative un juste retour de valeur ajoutée »

« Le gros challenge concernera les sols et les intercultures, estime Alain. En bio, il ne faut jamais laisser les terres se salir, mais implanter des cultures d’hiver, en réincorporer une partie si on ne peut pas apporter des engrais de ferme tous les ans. Les rotations seront plus longues. C’est compliqué, mais passionnant. Il faudra accepter quelques échecs. »

Florence et Alain ont choisi le bio pour rester dans le lait. « Il n’est pas sûr que nous aurions fait ce choix si le lait conventionnel était resté à 360 €/1 000 litres, observent-ils. Nous nous engageons sur cinq ans avec l’espoir que la filière bio tienne le coup. Nous serions frustrés si elle devait tomber dans le même schéma que celui du lait conventionnel (prix insuffisamment rémunérateurs et volatilité). Nous modifions notre système de production pour vivre de notre métier et avoir une juste rémunération. Nous attendons de notre coopérative un juste retour de valeur ajoutée. »

Le robot n’est plus d’actualité. La salle de traite, une 2 x 5 épi avec décrochage automatique, convient bien pour 50 vaches.

(1) ICHN : Indemnités compensatoires de handicap naturel.

© Anne Bréhier - Ration. La ration mélangée des prim’holsteins, composée de 40 % d’ensilage maïs, 40 % d’ensilage d’herbe et 3 kg de foin (2 kg de graminées et 1 kg de légumineuses), avec les concentrés donnés au Dac, va évoluer. Elle comportera plus de foin, de luzerne en particulier. Anne Bréhier

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